Accompagner les entreprises vers la reconstruction
La crise que traverse la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai a mis l'économie à terre. Toutes les entreprises sont touchées. Celles victimes d'exactions, mais aussi toutes celles qui ont vu leur activité s'effondrer du fait du blocage du pays et du climat d'insécurité. Aux côtés de ses ressortissants depuis le début des événements, la Chambre fait le point sur les impacts et l'accompagnement des entreprises, tandis que les acteurs économiques travaillent déjà sur la reconstruction d'un nouveau modèle.
Dans la nuit du 13 au 14 mai et les jours qui ont suivi, le Grand Nouméa a connu un déferlement de violences qui a frappé de plein fouet le monde économique. Un mois après le début des événements, les compagnies d'assurances comptabilisaient près de 900 entreprises sinistrées (au 11 juin, totalement ou partiellement brûlées ou ayant subi des actes de vandalisme ou de vol), de tous les secteurs d'activité et dans tous les quartiers de l'agglomération (cf. cartographie). Des dégâts matériels d'une ampleur inédite en Nouvelle-Calédonie.
🔸 Sur 676 entreprises détruites*, 201 seulement ont émis une perspective de reprise à ce jour.
*Sur la base déclarative du questionnaire lancé par la CCI en juin.
Plus de 20 000 emplois menacés
Environ 8 500 salariés (au 25 juin) ont perdu leur travail, définitivement ou de manière temporaire, auxquels s'ajoutent potentiellement 13 000 emplois dans le secteur du nickel et de sa sous-traitance (estimation d'avant-crise de mai 2024). Ce nombre peut encore augmenter dans les prochains mois avec les impacts économiques dus à la baisse de la consommation et à l'absence de reprise.
En temps normal, le régime chômage représente à peu près 4,7 milliards de francs CFP de prestations et de cotisations par an (pour environ 2 200 chômeurs en moyenne sur 2023). Avec les mesures spécifiques de chômage partiel et de chômage total prises par le gouvernement, ce montant pourrait atteindre 28 milliards CFP (secteur du nickel inclus). Le manque à gagner pour les cotisations sociales est estimé (au 25 juin), quant à lui, à 12 milliards pour 2024. Pour autant, « les entreprises et les salariés ne sont pas en état de supporter des hausses d’impôts ou de cotisations », insiste Patrick Dupont. À très court terme, l'aide de l'État sur le régime chômage est indispensable. Mais les discussions pour « maintenir en vie les régimes de santé et la retraite vont aussi devenir urgentes », signale le président de la CAFAT.
Ducos, la zone la plus touchée
Avant la tenue des expertises, le montant estimé des dommages calculé sur nos engagements maximum représentait près d'un milliard d'euros. Ce chiffre pourrait être revu à la baisse comme à la hausse en fonction de l’évolution de la situation et de l’évaluation réelle des dossiers.
Avec environ 150 entreprises pillées et incendiées (au 20 mai), la zone industrielle de Ducos, le poumon économique de la Nouvelle-Calédonie, a été la plus touchée. « Au vu de la taille des entreprises impactées, en incluant la société Le Froid, on est sur des dégâts très importants, l'équivalent d'une usine de nickel en nombre de salariés », alerte Stéphane Yoteau, vice-président de la CCI qui figure parmi les chefs d'entreprise de la zone. Rondes, barrages, ceux-ci ont dû s'organiser eux-mêmes pour sauvegarder leur outil de travail et celui de leurs salariés. « Tout cela a un coût financier et surtout humain avec de la fatigue, du stress. Personne n'est encore serein. Quand on quitte la zone, on se demande toujours ce qui va se passer. » La reprise s'est effectuée en mode dégradé avec des salariés encore bloqués, des clients qui ne sont pas au rendez-vous, des chantiers à l'arrêt... « Les chiffres d'affaires sont en berne. Nous avons besoin d'argent pour reconstruire », conclut le membre consulaire.
Cartographie des exactions. Source : gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
Impacts à moyen terme
L'économiste Olivier Sudrie (cabinet DME), a effectué une simulation de l'impact de la crise (hors situation du nickel) sur le moyen terme.
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PIB : perte probable entre 10 et 20 %.
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Emplois : de 10 à 20 000 emplois menacés (secteur marchand hors nickel) ; entre 18 et 36 000 emplois menacés de manière directe et indirecte.
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Consommation : baisse entre 25 et 50 milliards de francs (soit entre 4 % et 8 % du total de la consommation finale des ménages).
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Impact de la crise qui pourrait être atténué par l'activité du BTP notamment, dans l'hypothèse d'une reconstruction à l'identique (investissements de 150 à 300 milliards) : effet de relance de 10 à 20 000 emplois si reconstruction à 100 %.
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Un retour à l'équilibre estimé à 2027.
Des aides et un accompagnement
Fonds de solidarité, chômages spécifiques, échelonnement des charges... Des mesures d’urgence s’appliquent aux entreprises directement victimes d’exactions ou indirectement impactées.
Les mesures d'accompagnement des assurances
À la demande de France Assureur, des cabinets d’experts sont venus de l'Hexagone renforcer les effectifs des cabinets locaux pour faire face au nombre de déclarations. « On estime qu’un expert peut mener deux à trois expertises par jour. Vient ensuite le temps de la rédaction des rapports permettant à la compagnie d’assurance de débloquer les premiers fonds. Tout est mis en œuvre pour accélérer les processus, explique Frédéric Jourdain, président du Cosoda. Les sinistres pris en charge seront ceux dont les garanties prévues au contrat s’appliquent (incendie, vol, perte d’exploitation, etc). Il n’y a aucun problème de solvabilité des compagnies qui seront en mesure d’honorer leurs engagements avec l’aide de leur maison mère »
L’État a d'ores et déjà pris un certain nombre de mesures concrètes avec les assurances :
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Prolongation jusqu’à 30 jours du délai de déclaration de sinistre généralement fixé à 5 jours dans les contrats d’assurance ;
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Accélération du processus d’indemnisation assortie d’une priorisation des cas les plus sensibles ;
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Prise en considération au cas par cas des situations des professionnels (TPE/PME) les plus durement touchés, pour envisager la mise en place d'aides spécifiques ;
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Facilitation du versement d’acomptes pour faire face aux situations les plus difficiles.
Fonds de solidarité de l'État
Pour qui ? Les TPE et PME particulièrement affectées par les exactions, de manière directe via un sinistre (entreprise pillée ou brûlée), ou indirecte, en raison de la chute de l’activité.
Sont éligibles :
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Les entreprises ayant subi une perte d’au moins 25 % entre le chiffre d’affaires réalisé en mai 2024 et la moyenne mensuelle de leur chiffre d’affaires 2022. Ce seuil est porté à 50 % pour le mois de juin.
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Les entreprises à jour de leurs obligations fiscales et sociales (déclaration et paiement) et qui ne sont pas en redressement ou liquidation judiciaire.
Quelle aide ? Ce soutien exceptionnel est égal à 7,5 % du chiffre d’affaires mensuel moyen 2022 de l’entreprise plafonné à 360 000 F CFP environ pour le mois de mai. Pour le mois de juin, l’aide passe à 15 % et est plafonnée à 720 000 F CFP. Le plafond total de l’aide sur un mois et demi est de 1 080 000 F CFP environ.
Le centre-ville de Nouméa déserté au début des émeutes.
Des allocations de chômage exceptionnelles
Le chômage partiel spécifique
Pour qui ?
Sont éligibles :
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Les entreprises contraintes de cesser temporairement ou partiellement leur activité en raison des exactions ;
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Les entreprises contraintes, du fait de ces mêmes exactions, de cesser totalement et définitivement leur activité. Elles pourront bénéficier de cette allocation pour les salariés dont le contrat de travail est maintenu, et ce jusqu'au 31 décembre 2024.
Quelle aide ? Cette allocation doit permettre aux employeurs de maintenir les contrats de travail de leurs salariés malgré la baisse de l'activité économique. Son montant a été fixé à 70 % du salaire brut mensuel, dans la limite de 2,5 SMG, ou 100 % du salaire pour ceux rémunérés au SMG ou en contrat d’alternance. Prévue pour trois mois, dans la limite des crédits disponibles, cette mesure est renouvelable jusqu’au 31 décembre 2024.
Le chômage total spécifique
Pour qui ? Les salariés ayant perdu leur emploi.
Quelle aide ? Plus favorable que le chômage de droit commun, ce régime prévoit une indemnisation à hauteur de 70 % du dernier salaire brut, dans la limite de 2,5 fois le SMG, pour les trois premiers mois. Il sera toutefois dégressif, avec un passage à 100 % du SMG entre le quatrième et le sixième mois puis à 75 % du SMG du septième au neuvième mois.
Un guichet d'aides d'urgence en Province Nord
Pour qui ? Depuis le 2 avril, la province Nord a mis en place un guichet d’aides d’urgence pour une durée de six mois, en partenariat avec la CCI et la CMA, pour aider les entreprises à faire face aux crises économiques actuelles.
Quelle aide ? Trois dispositifs (entreprise, emploi et social) sont proposés et accessibles via un guichet numérique disponible sur son site internet. L’objectif : soutenir les entreprises impactées par la crise, favoriser le réemploi des salariés licenciés et limiter l'impact social.
Report des échéances d'un PGE
Pour qui ? Le report d’échéance du prêt garanti par l'État pour les patentés et les entreprises ayant contracté un ou plusieurs PGE, ne peut se faire que si la durée de 6 ans n’est pas modifiée ou en faisant appel à la médiation du crédit.
Quelle aide ? L’étalement des échéances reportées sur la période restant à courir dans la limite d'une durée totale du prêt de 6 ans.
Les entreprises en difficulté dont l'encours de PGE est de plus de 6 millions de francs CFP, peuvent adresser une demande à la Direction des finances publiques en Nouvelle-Calédonie. En fonction de sa situation, l’entreprise pourra être orientée vers différentes solutions : médiation du crédit ou procédure amiable/collective.
Médiation de crédit (IEOM)
Quelle aide ? Ce dispositif national vise à accompagner les entreprises de toute taille et de tout secteur d’activité qui sont confrontées à des refus de financement liés à leur activité professionnelle, à la résiliation de leurs concours bancaires existants ou qui rencontrent des difficultés avec l’assurance-crédit. Le dispositif a été aménagé et simplifié pour faire face à la crise liée aux exactions de mai 2024.
Prolongation des délais
> Cotisations sociales : échelonnement des échéances sociales.
> Impôt sur le revenu : la date limite du paiement du second versement d’acompte dû au titre de l’impôt sur le revenu est fixée au 30 septembre 2024. La date limite de paiement du solde de l'impôt sur le revenu 2023 sera par ailleurs repoussée au 15 décembre 2024 au lieu du 31 octobre 2024.
> Report des dettes fiscales : les entreprises victimes de destructions de nature à empêcher la poursuite de leur activité économique et qui se trouvent dans l’impossibilité de faire face aux paiements des impôts et contributions de toutes natures dues entre le 14 mai et le 31 décembre 2024, pourront bénéficier d’un report de leurs dettes fiscales.
> Report des échéances bancaires : les établissements membres de la Fédération bancaire française de Nouvelle-Calédonie étudieront au cas par cas, sur demande de leurs clients, le report d’au minimum 3 mois des échéances de crédits amortissables (PGE compris). Les reports accordés se feront sans frais de dossier.
Scène quotidienne de déblayage.
Les mesures de sécurité ont entraîné une reprise en mode dégradé pour les commerces alimentaires.
La Chambre au chevet de ses ressortissants
Depuis le début de la crise, la CCI s’est mobilisée pour accompagner les entreprises. Près de 1 200 demandes ont été traitées, au 20 juin, via le numéro vert (05 03 03).
Un recensement des entreprises vandalisées, pillées et/ou brûlées a également été mené. Ce travail a permis d’adapter nos dispositifs d’accompagnement.
Un guide pratique, disponible sur www.cci.nc et mis à jour régulièrement, offre une visibilité sur les démarches à effectuer, les aides financières déployées, les facilités de paiement, etc. À noter qu’une cellule réunissant plus d’une cinquantaine de représentants du monde économique a permis d’échanger des informations et de nourrir un tableau FAQ transmis au gouvernement. Enfin, la CCI participe aux cellules de crise pilotées par le gouvernement et le haussariat. « L’objectif étant de faire remonter les besoins du monde économique et d’apporter une réponse conjoncturelle avec des dispositifs les plus adaptés aux réalités du terrain », explique Isabelle Coupey. En ce sens, et en complémentarité du Fonds de solidarité de l'État, la Chambre a mis en place, via un formulaire en ligne, un recensement des entreprises les plus affectées qui sont exclues des critères d’éligibilité ou dont les modalités de calcul de l’indemnité ne sont pas adaptées aux besoins (les travailleurs indépendants notamment). « Nous travaillons avec l'État pour identifier les ajustements ou les compléments nécessaires, au cas par cas, au dispositif actuel. Il s’agit de permettre une meilleure prise en compte de ces entreprises qui ont subi des dommages (in)directs et qui, à travers le fonds de solidarité et malgré toutes les aides disponibles, se trouvent toujours en proie à des difficultés de trésorerie, notamment pour faire face à leurs coûts fixes », ajoute la directrice adjointe.
Cap sur la reconstruction
En parallèle, les acteurs économiques s’attellent déjà à « l’après ». Réunis au sein du groupe de travail « Prospective », animé par la CCI et le Medef, ils travaillent sur la reconstruction d’un nouveau modèle économique et social pérenne, « Build back better », qui s’appuie en partie sur les précédents travaux menés par NC ÉCO (lire aussi ici). De nombreuses pistes sont ainsi avancées. Parmi elles, l’urgence du développement des énergies renouvelables dans le mix énergétique de la Nouvelle-Calédonie, la mutation du secteur nickel « pour participer, à notre hauteur, à l’autonomie européenne sur les métaux dits stratégiques », précise Charles Calmettes, membre associé de la CCI, ou encore la diversification de l’économie qui doit s’appuyer sur d’autres secteurs tels que la filière numérique, la maintenance et l’agroalimentaire, « un vrai potentiel pouvant générer un nouveau développement économique au niveau régional ».
Autres axes évoqués, le renforcement de l’attractivité du territoire qui doit passer par une simplification administrative et la numérisation de l’économie, ainsi qu'une fiscalité plus favorable aux investissements. Le développement d’activités dans des zones franches localisées en dehors du Grand Nouméa est également évoqué.
Dans cette recherche d’autonomie alimentaire, notamment sur terres coutumières, il pourrait y avoir, par exemple, un accompagnement spécifique sur la valorisation de ces terres par l’entrepreneuriat du monde kanak, qu’il soit collectif, individuel ou via des coopératives permettant ainsi de créer des bassins d’emplois et de fixer les populations, favorisant le rééquilibrage économique et la réduction de la fracture sociale.