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food court centre-ville nouvelle-calédonie

Le commerce calédonien à la croisée des chemins

Économie
CCI Info n°299 fevrier-mars 2024
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En quelques années, le commerce calédonien s'est transformé : arrivée de nouveaux équipements commerciaux et d'enseignes, commerces spécialisés, développement du e-commerce ou de la seconde main. Une offre croissante et diversifiée qui peine pourtant à trouver ses consommateurs dans un contexte économique tendu assorti d'un solde migratoire en berne. Face aux grands groupes en concurrence, les commerces traditionnels doivent réussir leur mutation. Pour autant, comme l'a montré la crise du Covid-19, l'activité commerciale sait faire preuve de résilience... pour qui veut bien l'entendre et l'accompagner.

Malgré la fin des restrictions sanitaires, le secteur du commerce n'a pas connu de reprise nette en 2022. Il faut dire que les achats locaux ont profité d'une bulle d'activité pendant cette période qui s'est atténuée avec la réouverture des frontières. Le phénomène mondial d'inflation, en grande partie "importée" en Nouvelle-Calédonie, s'est greffé par-dessus, contraignant les entreprises à réduire leurs marges pour répercuter le moins possible la hausse des prix sur le porte-monnaie des consommateurs calédoniens. Conséquence, « l'année 2023 a été assez difficile pour le commerce », alerte Ronan Daly, le président du syndicat des commerçants de Nouvelle-Calédonie, qui évoque encore d'autres raisons : « Nous sentons très clairement l'impact des départs définitifs du territoire. Moins de consommateurs, c'est une évidence, à cela s'ajoutent les problèmes récurrents, notamment l'avenir institutionnel et la vie chère. Nous sommes sur un micro-marché comparé à des îles comme La Réunion ou même la Polynésie. La solution serait que la Nouvelle-Calédonie redevienne attrayante et que l'on enregistre l'arrivée de nouvelles personnes qui travailleraient et consommeraient localement ».

En effet, ces dernières années, le territoire est confronté à un solde migratoire négatif. Une enquête a été confiée à l'institut Quidnovi au premier trimestre 2023 pour analyser cette vague de départs. Plus de la moitié des partants, connus des répondants de l'étude, appartenait aux catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) : cadres, professions libérales, chefs d'entreprise... Autant de consommateurs avec du pouvoir d'achat qui manquent à l'appel. Tandis qu'on constate un changement dans les modes de consommation des Calédoniens avec une concentration sur les achats de première nécessité.

L'année 2023 a été assez difficile pour le commerce.

Ronan Daly
Ronan Daly
Président du syndicat des commerçants de Nouvelle-Calédonie

Suréquipement et déserts commerciaux

Entre 2021 et 2022, le secteur du commerce a comptabilisé deux fois moins de créations d'entreprises. Néanmoins, le développement se poursuit mais de manière contrastée. Pas moins de cinq grands projets sortent de terre ou sont en cours à Dumbéa et trois à Païta. En parallèle, 17 % des locaux commerciaux du centre-ville de Nouméa étaient vacants fin 2023, un chiffre jamais atteint jusque-là, selon le syndicat des commerçants.

« La Nouvelle-Calédonie manquait d'équipements commerciaux il y a encore quelques années. Le gouvernement a mis en place des règles pour favoriser la concurrence, notamment avec la création d'une Autorité indépendante, explique Guillaume La Selve, vice-président de la CCI-NC chargé du commerce. Au même moment, l'urbanisation des communes comme Dumbéa et Païta attirait les populations. Il était naturel que le développement commercial suive cette tendance, seulement il a été plus rapide que l'urbanisme résidentiel. Nous avons aujourd'hui un équipement commercial qui est sans doute surdimensionné par rapport au nombre d'habitants et au contexte économique difficile ».

La redynamisation du centre-ville de Nouméa

La plus grande concentration de commerces se trouve à Nouméa, rappelle le syndicat des commerçants. Ses représentants font partie d'un groupe de travail initié par la CCI qui comprend également des techniciens et des élus de la mairie. Un lien essentiel pour travailler sur les différents aspects de la redynamisation du centre-ville, sans oublier le Quartier Latin, la baie des Citrons et l'Anse-Vata : animations, flux de circulation, parkings, travaux... « La réouverture des plages à la baignade a fait du bien. Désormais, les commerçants attendent patiemment la fin des travaux, indique Ronan Daly. Même si l'objectif final est une amélioration, il est difficile de traverser cette période sans soutien, au regard de la perte de chiffres d'affaires ».

passants dans les rues du centre-ville de nouméa

Un nécessaire schéma de développement commercial

Le territoire connait une situation paradoxale : des zones suréquipées et d'une trop grande proximité par endroit, alors que d'autres sont en carence. « Compte tenu de la structure de l'agglomération, il serait nécessaire d'avoir un schéma directeur commercial à son échelle qui déterminerait les besoins réels des populations, les locaux vacants, les zones et les secteurs d'activité à pourvoir, indique l'élu de la Chambre consulaire qui prône une vision partagée du développement de l’équipement commercial. Ce schéma servirait à orienter les implantations de nouveaux équipements commerciaux. Cet outil a été identifié par le groupe de travail piloté par la CCI sur la redynamisation du centre-ville de Nouméa (lire aussi l'encadré) ». Pour le syndicat des commerçants, l'étude servant de base à ce schéma serait l'occasion d'avoir de la donnée, ainsi qu'une vision sur les infrastructures de transport essentielles aux pôles de consommation. Pour l'heure, ce développement, mené en général par de grands groupes, est perçu comme une menace par les commerçants de proximité qui doivent se réinventer. Pourtant, ces commerces historiques sont tout autant nécessaires à l'attractivité et appréciés des Calédoniens.

caddie de course
commerce nouvelle calédonie

Des outils encore absents

En effet, un réel enjeu "d'opération séduction" vis-à-vis des consommateurs est à relever, y compris des touristes. « Nouméa est le premier point de chute des croisiéristes », rappelle Ronan Daly. Syndicat des commerçants et CCI œuvrent de concert pour que les commerces aient, « comme partout dans le monde », la possibilité de pratiquer le duty-free pour les non-résidents. « C'est un outil évident pour le développement du commerce. » Faciliter la démarche d'autorisation du travail le dimanche est un autre cheval de bataille, comme le déploiement des solutions de paiement digitalisées. Là encore disponibles ailleurs, leur absence constitue un frein pour les commerçants locaux. Des travaux sont en cours avec la Calédonienne de solutions business (CSB). Une fiscalité plus attractive et un cadre institutionnel stable sont également souhaités pour faire venir de nouvelles compétences et donc de la clientèle. Les propositions ne manquent pas de la part des professionnels pour avoir un commerce florissant, à condition « d'être accompagné par des mesures incitatives favorables à son développement », conclut Ronan Daly.

Un tremplin pour le commerce

Dans les zones qui se sont désertifiées - dont le centre-ville fait partie - la CCI avec Initiative NC pourrait expérimenter le diapositif national de "boutiques à l'essai" (c'est-à-dire bénéficiant de modalités incitatives à l'installation). Ce concept s'adresse aux porteurs de projets commerciaux, via des appels à manifestation d'intérêt. Le commerçant peut ainsi tester son idée, en bénéficiant de mesures incitatives (loyers et charges modérés) et d'un accompagnement pendant la période de lancement de son activité. L'objectif final est qu'il vole ensuite de ses propres ailes. À terme, il pourrait être déployé dans d'autres communes de l'agglo ou en Brousse.

3 questions à Philippe Blaise, 1er vice-président de la province Sud chargé du développement économique

 

À travers sa compétence de développement économique, quel rôle joue la province Sud en faveur de l'activité commerciale ?

Philippe Blaise : Notre philosophie est de faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire attractif. Le commerce est un élément essentiel pour cela et la qualité de vie de la population. Nous avons tout intérêt à avoir un tissu commercial dynamique qui crée de la valeur et contribue à la santé globale de l'économie. La volonté de la province Sud est d'encourager les initiatives privées en apportant son aide sur les problèmes d'actualité, comme la sécurisation, la transition numérique, l'embauche de personnels ou encore, dans le cadre de sa politique de l'habitat, afin de redynamiser certains quartiers. Face aux commerçants qui investissent et prennent des risques, le devoir de l'administration est d'être bienveillante, réactive et d'offrir un service de qualité.

 

Quel regard porte l'institution sur le développement commercial au sein de l'agglomération du Grand Nouméa ?

P. B. : Notre rôle est de faciliter l'émergence de commerces là où se trouvent les populations. Néanmoins, la province essaie d'apporter des avis sur les projets avec des préconisations en matière de transports doux, d'énergies renouvelables lors de l'instruction des permis, pour ne pas faire n'importe quoi et avoir de la qualité. Le centre-ville de Nouméa est lui aussi un enjeu fort car il propose une offre nécessaire non seulement pour le tourisme, mais également pour fixer les populations. Il faut que coexistent ces centres commerciaux et ces centre-ville attrayants qui sont des espaces de loisirs et de vie nocturne.

 

Comment faire pour accompagner un maillage optimal de l'offre commerciale ?

P. B. : La province Sud doit agir avec ses partenaires que sont les mairies, la CCI et les syndicats professionnels. Un recensement, comme le propose la Chambre, des offres manquantes au niveau du tissu commercial par commune, par quartier, serait pertinent pour les investisseurs. La province est à l'écoute de l'inquiétude des commerçants et a la capacité de soutenir les réflexions portées par les communes ou les professionnels. Une coopération devrait se mettre en place entre tous ces acteurs pour élaborer une stratégie qui fonctionne. La Nouvelle-Calédonie a un formidable potentiel qui ne demande qu'à être exploité.

Philippe Blaise
Philippe Blaise

1er vice-président de la province Sud chargé du développement économique

femme dans les rayons d'une grande surface

En route vers le commerce de demain 

Digitalisation, décarbonation... Le secteur du commerce doit lui aussi opérer sa transformation pour relever les enjeux sociétaux et environnementaux actuels.

 

La crise sanitaire a confirmé l'aspect incontournable du numérique, véritable levier de développement pour les entreprises, avec les solutions de e-commerce, de relation client via les réseaux sociaux et d'automatisation de process de gestion chronophages. C'est aussi la possibilité d'accéder à de nouveaux services entre professionnels pour gagner en temps et en efficacité. Comme par exemple des solutions proposées par les transitaires dans la chaîne d'importation. 

La digitalisation permet d'accélérer l'accès à l'information. Suivre en continu l'état des expéditions depuis son smartphone ou demander un devis de transport en ligne, ces outils permettent d'anticiper et d'organiser ses activités.

Frédéric Genel
Frédéric Genel
directeur régional de DHL Global Forwarding

Écoresponsabilité

De même, le développement durable doit être comme une opportunité d'innovation et de compétitivité : réduction des consommations d'énergie et d'eau, meilleure gestion des ressources naturelles, réduction et valorisation des déchets, etc. La CCI apporte son concours aux commerces qui veulent améliorer leur performance énergétique et ainsi réduire leurs coûts. Elle encourage également l'échange de biens et services entre entreprises, dans un principe d'économie circulaire, avec la plateforme Circuitpro, initiée avec la Chambre de métiers et de l'artisanat. Dans un contexte d'insularité, la CCI réfléchit également, avec ses partenaires, à des circuits plus courts, écoresponsables, moins dépendants de l'import, avec des produits plus abordables pour les consommateurs. Des travaux sont bien engagés dans le domaine de l'agro-alimentaire. La consommation de proximité a des atouts incontournables à faire valoir : le conseil et le service client, difficilement remplaçables par une plateforme numérique.

passants dans les rues du centre-ville de nouméa nouvelle-calédonie

Commercer autrement

La seconde main est bien ancrée en Nouvelle-Calédonie au point que des commerces en ont fait leur cœur d'activité. Alexia Maurin, ancienne assistante sociale, a ouvert une boutique d'artisanat et de vêtements d'occasion, la Case aux trésors, en mars dernier à Poindimié. « Une double raison économique et écologique a motivé mon projet », explique la gérante qui répond à une clientèle sensibilisée à l'impact environnemental ou à faibles revenus. Un dépôt-vente diffère d'un commerce traditionnel : « Nous n'avons pas affaire à des fournisseurs, c'est un rapport plus humain avec un service rendu. Le plus gros défi est de gérer le stock surtout en rachat direct comme moi. Certaines pièces non vendues sont remises au dispensaire ou données aux garagistes pour en faire des chiffons. Rien ne se perd, tout se transforme ! »

Alexia Maurin
Alexia Maurin

La Case aux trésors, Poindimié