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agachon nc

Le monde de l'entreprise toujours debout !

Économie
CCI Info n°304 février-mars 2025
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La Nouvelle-Calédonie est une terre d'entrepreneurs. Une terre qui a été durement touchée en mai 2024 par de violentes émeutes, suivies d'une crise profonde. Plusieurs centaines d'entreprises ont été pillées, saccagées, réduites en cendres pour certaines. Après un temps de sidération, de colère et d'abattement bien compréhensibles, des chefs d'entreprise se sont relevés pour relancer leur activité, en repartant parfois de zéro. Car cet esprit pionnier si typiquement calédonien s'illustre aussi par la capacité à s'adapter et se réinventer. Ces femmes et ces hommes ont trouvé des solutions pour rebondir en cette période sombre, également marquée par la solidarité.

Depuis 25 ans, c’était une référence sur le Caillou. Le 15 mai, le magasin de pêche L’Agachon est en partie pillé et complètement incendié. Pour les gérants, Jean-Pierre Debien et son fils, Thomas, pas question de baisser les bras. « Nous avions de la marchandise stockée ailleurs. C’est ce qui nous a permis de rebondir rapidement. » Ils lancent alors la vente en ligne via leur site internet. Mi-juin, un nouveau cap est franchi avec la création d’une boutique éphémère sur le parking de l’ancien magasin, à Ducos. « Avec nos deux salariés, nous étions présents tous les vendredis et tous les samedis, sous des tentes de fortune. On s’est débrouillés avec le stock que nous avions, complété par la suite avec de la marchandise qui était sous douane et des commandes en cours d’acheminement par voie maritime et aérienne. Le matin, il fallait tout amener et tout déballer. Le soir, on devait tout ranger pour des questions de sécurité. Ce n’était pas viable à long terme. »

 

Jean-Pierre et Thomas Debien Agachon NC
Les gérants de l'Agachon, père et fils, Jean-Pierre et Thomas Debien.

Une chaîne de solidarité

Au 1er août, l’activité redémarre réellement dans les locaux de Home Dépôt grâce à la solidarité des gérants de la boutique qui les hébergent jusqu’au 31 janvier 2025. Fidèle, la clientèle suit. Pour autant, les gérants doivent faire face à la baisse de confiance de leurs fournisseurs « qui réduisent les délais de règlement et réclament parfois un acompte à la commande ». À cela s’ajoute le manque de trésorerie. « Malgré une avance, nous attendons toujours d’être indemnisés, c’est compliqué ! On travaille aujourd’hui avec un tiers de notre stock. Nous proposons moins de marques et moins de gammes. Notre chance est d’évoluer dans le domaine des loisirs qui permettent aussi aux gens de se nourrir. On navigue à vue, il va falloir se réinventer », reconnaît Jean-Pierre Debien. 

 

La nécessité de se diversifier

Trouver de nouvelles pistes pour rebondir a été le souci de nombreuses entreprises en cette période de crise. Les exactions et l'augmentation des faits de vols, tout comme les incendies volontaires, ont entraîné un besoin de sécurisation des professionnels et des particuliers. Une tendance que des entrepreneurs ont saisie pour se diversifier en proposant parfois des équipements de protection jusque-là introuvables sur le territoire. Pour le secteur du BTP, victime d'une commande publique en berne, les chantiers de démolition ont pu constituer une « bulle d'activité ». Ce marché, représenté traditionnellement par quatre-cinq entreprises, s'est vu rejoindre par de nouveaux acteurs. Les entreprises désireuses de s'intégrer dans une démarche de démolition responsable, conformément à la Charte Acotred-Fédération calédonienne du BTP (FCBTP), ont été recensées. Toutefois, les deux organisations ont dû lancer un appel au respect de ces règles strictes, certaines sociétés y dérogeant. « La démolition est un métier bien particulier qui nécessite du matériel et des formations spécifiques », signale Christophe Dauthieux, cogérant de la société ACTB Pacifique et vice-président de la CPME, secteur du BTP. Le constructeur, fortement impacté par les exactions (lire l'encadré), a fait le choix de ne pas répondre aux chantiers de déconstruction ou seulement pour de petites interventions en lien avec une construction nouvelle.

Christophe Dauthieux
Christophe Dauthieux, cogérant d'ACTB Pacifique, présente depuis plus de 20 ans en Calédonie.

Se restructurer en attendant la relance

Lors des émeutes, le principal chantier de la société de construction ACTB Pacifique, situé à Auteuil, a été entièrement mis à sac. Au 13 mai, l'entreprise familiale cumulait 76 millions de francs CFP d'engins, machines-outils, conteneurs, base vie et outillages volés, détruits ou incendiés. Alors que les indemnisations peinent à venir, Christophe Dauthieux, le cogérant, reste persuadé qu’il n'y aura pas de véritable reprise avant début 2026. « Après les exactions, tous les marchés en cours ou ceux qui allaient débuter ont été annulés ou reportés. Dans ce contexte, il a fallu accepter dès juin 2024 d'adapter les dimensions de la société pour assurer sa survie. »

Ainsi, le personnel passe de 26 à 16 salariés dont 12 mis au chômage partiel et la dette fournisseur au 13 mai est étalée, en accord avec les intéressés. « Ces dispositifs assumés et atteints ont sauvé la structure tout en permettant de garder les compétences, admet l'entrepreneur, espérant que celles-ci seront valorisées à l'avenir dans les décisions d’attributions d’appels d’offres. »

Côté chantiers, l'entreprise a « répondu à de plus petits appels d'offres et décalé le démarrage de certains marchés pour commencer 2025 avec une visibilité de travail de deux à quatre mois, qui reste précaire malgré tout. »

clinique vétérinaire l'hippocampe
Les locaux incendiés de la clinique vétérinaire de l’Hippocampe, au 6e km.

Se réorienter pour faire (encore) mieux

Retour aux premières nuits d'émeutes. Pour la clinique vétérinaire de l’Hippocampe, située au 6e km, tout a basculé le 14 mai avec son incendie. Dans la foulée, la clinique vétérinaire située à Apogoti est vandalisée et pillée. Pour Guillaume de Savigny et Éric Leconte, vétérinaires et associés, c’est le choc. Après une semaine de sidération, vient le temps de la réflexion et de la concertation. « Il était important de vite prendre une décision pour ne pas déprimer. En tant que chef d’entreprise, on se nourrit de défis. Par élimination, on a décidé de recommencer à zéro. »

Le premier challenge consiste à trouver des locaux dans un quartier voisin pour conserver une grande partie de la clientèle. Les deux associés sont aidés par la famille Courte qui libère des locaux sécurisés au 4e km. « Nous avons vu le potentiel de cet espace de 350 m² qu’il fallait transformer en clinique ! Quitte à reconstruire, on s’est dit qu’on allait faire mieux. On est partis d’une zone résidentielle avec une clientèle de proximité pour s’installer dans une zone commerciale, ce qui nous a amenés à nous réorienter vers ce que nous savons faire de mieux : des urgences 24 h/24 et et un service de chirurgie pointu afin de devenir une référence sur le territoire », souligne
Éric Leconte.

 

Maintenir la clinique à flot

« Coup de chance », les deux associés ont stocké du matériel dans un dock pour un projet qui a capoté. « On a tout rapatrié au 4e km mais il a quand même fallu réinvestir dans du nouveau matériel. Nous avons aussi bénéficié d’une chaîne de solidarité avec des dons de nos confrères et le concours d’entreprises. »

Opérationnelle à 70 %, la clinique rouvre ses portes le 15 juin. Six mois plus tard, elle est à 100 % de ses capacités. La structure d’Apogoti, qui a rouvert le 1er août, permet, depuis, d’assurer les actes courants.

Mis en chômage partiel « au début », les huit salariés ont pu conserver leur emploi. Une satisfaction pour les deux associés qui ont dû, pour maintenir la clinique à flot, faire des apports et des prêts bancaires personnels après la suspension du PGE. Assurés pour la perte d’exploitation (lire l'encadré), les gérants sont toujours dans l’attente d’indemnisation.

Éric Leconte
Éric Leconte, au comptoir de la nouvelle clinique vétérinaire de l’Hippocampe, désormais installée au 4e km.

En profiter pour améliorer

Même situation pour Meryl Gofin, gérante du salon MJ Coiffure au Plaza Apogoti à Dumbéa-sur-Mer, qui a pourtant repris son activité fin octobre. Quand on voit son lieu de travail aujourd'hui, il est difficile d'imaginer dans quel état elle a pu le retrouver après quinze jours d'inaccessibilité. Pendant cette période, le local a d'abord subi une première intrusion entre le 14 et le 16 mai, avant d'être pillé et dégradé.

« On m'a tout pris : le matériel, le mobilier, les produits, l'électroménager… Moralement, cela a été très difficile, mais j'adore mon métier et j'ai investi dans ce salon », explique la jeune femme qui a ouvert son enseigne il y a quatre ans. « Je me suis dit qu'il fallait repartir, ne pas donner raison aux casseurs. »

Commence alors le parcours du combattant avec les assurances. En octobre, Meryl reçoit enfin un acompte pour pouvoir lancer les travaux de rénovation. « J'ai décidé d'en profiter pour changer et apporter des améliorations. Cela m'a vraiment aidée : le fait de faire les magasins, choisir la déco, me projeter... Et j'ai reçu énormément de messages de soutien de mes clientes. »

Assurance pertes d'exploitation : reprise d'activité indispensable

L’assurance perte d’exploitation vise à permettre la reprise d’activité et à compenser les conséquences de l’interruption de celle-ci pendant un temps limité et non définitif. La reprise d’activité est donc inhérente au versement de la garantie perte d’exploitation et l’assuré devra en justifier.

Pour rappel, grâce au fonds constitué par la solidarité du réseau national des CCI, la CCI-NC peut prendre en charge jusqu’à 4 h d’intervention d’un expert d’assuré à vos côtés, pour vous aider à monter vos dossiers d’assurance, à comprendre votre contrat, à optimiser votre indemnisation…

Contact : soutien@cci.nc

salon de coiffure MJ nc
Le salon MJ Coiffure saccagé.
salon mj coiffure nouméa
Meryl Gofin a retrouvé sa clientèle.

Redonner de l'attractivité au quartier

Heureuse d'exercer de nouveau, Meryl œuvre désormais, avec l'association des commerçants du Plaza Apogoti qu'elle préside depuis fin 2024, pour que le quartier retrouve son attractivité. Première réalisation : une vidéo sur le ton de l'humour, signée Kingtäz, afin de promouvoir les commerces pendant les fêtes.

« En février, nous avons le projet de rendre la rue piétonne pour organiser une mini-foire avec des exposants. Nous négocions aussi avec la province Sud pour mettre des panneaux à l'entrée d'Agopoti afin de donner de la visibilité aux centres commerciaux », détaille-t-elle. « Ensemble, nous essayons de faire bouger les choses, de redonner confiance à la clientèle, notamment en termes de sécurité. La situation a créé davantage de solidarité entre les commerçants. »

Une union nécessaire, car la cheffe d'entreprise le sait, « 2025 risque d'être encore compliquée. » La priorité, « c'est d'avoir de la trésorerie pour aborder l'année plus sereinement. »

Pour l'Agachon, l'heure est à la recherche d'un nouveau local au 1er février, mais le chef d’entreprise peine à (re)trouver un assureur. « Ce qui pose souci, dit-il, c’est la zone de Ducos qui a été particulièrement impactée par les émeutes mais où l’on souhaite se réinstaller pour rester au plus près de notre clientèle qui a fait preuve d’un tel esprit de solidarité durant ces derniers mois. »

grue sur un chantier de démolition grand nouméa
Les chantiers de démolition ont débuté mi-juillet dans le Grand Nouméa.
lagoon ducos le plexus nouméa

Trois questions à Stéphane Mateo, directeur général de Lagoon

Stéphane Mateo Lagoon
Stéphane Mateo

directeur général de Lagoon

De quelle façon avez-vous été impacté par les exactions ?

Stéphane Mateo : Dès le début des émeutes, nous n’avons plus eu accès à nos bureaux et à la boutique, au Plexus (Ducos). Nous étions dans l’attente, à guetter, sans savoir à quel point notre activité serait impactée. Le week-end du 18 mai, nous avons appris que les portes de nos locaux avaient été forcées. Avec des volontaires, nous y sommes allés pour récupérer des équipements importants qu’il a fallu, par la suite, reconditionner. Puis, le Plexus a brûlé.

 

À quels défis l’entreprise a-t-elle été confrontée du jour au lendemain ?

S.M. : Dès le 14 mai, nous sommes tous passés en télétravail, à l’exception de nos deux autres boutiques, fermées.
Notre site de production étant toujours actif, on a pu continuer à fournir notre service à nos clients. Début juillet, on a commencé à établir des scénarios pour l’entreprise en ayant aucune idée de la durée des exactions, de l’impact économique à l’échelle du pays et de l’évolution. de la démographie. On a recentré notre activité sur notre cœur de métier, fournisseur d’accès internet et hébergeur de solutions de services, et réduit nos frais de fonctionnement. Nous avions deux priorités : sauvegarder notre activité principale et conserver nos 41 emplois.

 

Comment évolue la situation aujourd’hui ?

S.M. : On a connu des moments de creux et perdu 2 000 clients (particuliers et professionnels) dont la majorité a
quitté le territoire. En novembre, nous avons ouvert une boutique aux Halles de Magenta. Nous avons eu l’opportunité de louer un plateau brut dans ce même quartier où nous avons installé nos bureaux, mi-décembre. Après sept mois de télétravail, il était important de retrouver une vie sociale d’entreprise, d'être tous ensemble. C’est dans notre ADN ! Les salariés ont été très affectés par la destruction du Plexus. Depuis 2012, c’était leur deuxième
maison. Mais c’est dans les moments difficiles que l’on voit le meilleur de l’humain.

lagoon nouméa
Relocalisée dans le quartier de Magenta, l’entreprise Lagoon y a installé ses bureaux et ouvert une nouvelle boutique aux Halles.

Les circuits courts plébiscités

Si la crise a plus particulièrement impacté le milieu urbain, le secteur rural a lui aussi été touché. En effet, les exactions ont considérablement réduit le nombre de surfaces de vente ou leur accessibilité, obligeant les producteurs agricoles à trouver de nouveaux débouchés pour écouler leurs productions. Ainsi, agriculteurs, éleveurs et pêcheurs ont fait preuve d'agilité en multipliant les marchés de proximité. La volonté est désormais de consolider les circuits courts et de relever le défi de la transformation en partenariat avec la CCI, la Chambre de métiers et d'artisanat et la Chambre d’Agriculture et de Pêche.

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