Le projet des acteurs économiques pour la reconstruction
Dès les premiers jours de la crise, la CCI-NC et le Medef-NC se sont mobilisés pour réfléchir à « l'après » en s'appuyant sur les travaux menés par NC ÉCO, revus à l'aune des événements, avec l'implication des acteurs économiques. La volonté est de porter une vision partagée de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie auprès des institutions et de l'État, partenaire financier et technique incontournable.
« Au plus fort des émeutes, mi-mai, les élus de la CCI, qui sont des chefs d'entreprise touchés par les exactions, ont exprimé le besoin de se préparer à la suite », pose David Guyenne. Le président de la Chambre de commerce et d'industrie poursuit : « Les chefs d'entreprise sont les acteurs majeurs de la reconstruction, ce sont eux qui vont décider de réinvestir ou non, qui vont recruter, ce qui leur donne la légitimité de participer au projet pour la Nouvelle-Calédonie de demain ». La CCI et le Medef-NC, complémentaires dans leurs missions, ont donc uni leurs forces pour se projeter dans l'avenir, en montrant que le territoire a la capacité d'être davantage autonome économiquement.
Des rencontres ont lieu avec les syndicats professionnels et clusters pour identifier les opportunités.
En effet, le constat est sans appel : le système calédonien était déjà à bout de souffle avant les exactions avec des finances publiques en quasi-faillite et des déficits structurels nécessitant de profondes réformes. Une situation aggravée par la crise nickel et aujourd'hui, par une destruction sans précédent de l'appareil économique qui a entraîné la perte, du jour au lendemain, de 20 % du PIB calédonien.
Dans ce contexte nouveau, l'idée est de proposer une première vision projective ajustée, en s'inspirant des principes du « Build Back Better » pour viser le changement et l'amélioration.
Concertation et prospection
« Il fallait aller vite et être proactif sur la solution », lance Charles Calmettes. Le membre consulaire, référent du groupe de travail Prospective pour la CCI ajoute :
C'est un travail de longue haleine, plus nous commençons tôt à travailler sur le sujet, plus nous serons prêts lorsque l'État lancera la mission "reconstruction", nouvelle étape après la phase d'urgence de réponse à la crise.
Ainsi, les équipes de la CCI et du Medef-NC sont reparties de travaux qui avaient déjà fait consensus, comme ceux réalisés depuis 2020 par le collectif d'acteurs économiques NC ÉCO, et les ont adaptés en consultant des experts de différents secteurs (syndicats professionnels, clusters, etc.). Une quarantaine de réunions sera ainsi menée pour une véritable concertation des acteurs économiques.
Des entreprises meurtries par les exactions ont commencé à nettoyer pour préparer la reprise.
Nous ne pouvons plus vivre comme nous l'avons fait pendant 30 ans dans un modèle sur-administré qui n'a pas fait ses preuves. Le projet repose sur les mêmes fondamentaux qui sont d'assurer une prospérité économique à long terme à la Nouvelle-Calédonie avec une réduction de la fracture sociale.
Ce travail prospectif doit être rendu public à l'occasion d'un événement organisé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. « Pour que ce modèle fonctionne, la population calédonienne doit aussi se l'approprier », insiste Mimsy Daly.
Une visibilité sur 20 à 30 ans
La finalité est de présenter les grands axes de ce "plan marshall" au nouveau gouvernement national et « de le convaincre de faire confiance à cette relance portée par la société civile, souligne David Guyenne. Ce projet participatif nécessitera un accompagnement financier et technique important ». Pour Charles Calmettes, « ce serait un message fort pour les entrepreneurs calédoniens qui ont besoin d’avoir une visibilité sur 20 à 30 ans pour réinvestir ».
« Il n'y a pas un chef d'entreprise qui n'est pas profondément choqué et inquiet pour l'avenir. Toutefois, un entrepreneur est par définition une personne qui prend des risques et qui a la capacité de se projeter. Le monde économique est prêt pour prendre la décision de reconstruire, mais pas sans stabilité institutionnelle », affirment les dirigeants du Medef-NC et de la CCI.
Pour un nouveau modèle économique et sociétal en Nouvelle-Calédonie
Le projet, désormais repris par l'ensemble des acteurs économiques à travers NC ÉCO, vise à projeter la Nouvelle-Calédonie vers un nouveau modèle « financièrement soutenable, socialement juste et économiquement performant ». Il est articulé autour de quatre piliers, déclinés en axes et actions prioritaires. Présentation.
Incontournable, le premier pilier repose sur la mutation des secteurs de l'énergie et de la métallurgie, intrinsèquement liés, « qui font partie de l'ADN de l’économie calédonienne », rappelle Charles Calmettes, membre associé à la CCI. Parmi les pistes avancées figure l’urgence du développement des énergies renouvelables dans le mix énergétique calédonien. L'objectif est de disposer d'une énergie la plus verte et compétitive possible au service du développement du territoire et notamment du secteur nickel. « Nous devons avoir une vision de la mine et de la métallurgie qui participent à un grand projet de révolution industrielle décarbonée pour s'intégrer dans les problématiques de la région telles que le réchauffement climatique », souligne David Guyenne, président de la CCI.
Des filières à fort potentiel de développement
Si l'énergie et la métallurgie en forment la colonne vertébrale, notre modèle économique doit s'appuyer sur d'autres secteurs. Cette diversification constitue le deuxième pilier du projet de reconstruction. L'un des axes vise à optimiser la filière agroalimentaire (lire aussi en encadré) dont l'objectif était en 2018 d'atteindre un taux d'autosuffisance d'environ 30 % d'ici à 2025 (contre 17 % actuellement avec de fortes disparités entre les productions). La maintenance est un autre secteur identifié. « Grâce à l'industrie du nickel, la Nouvelle-Calédonie dispose de compétences techniques et d’ingénierie d'un très bon niveau, ce qui offre de véritables perspectives de croissance au niveau régional », signale Charles Calmettes. Le tourisme durable devrait également faire partie de ces filières de diversification, une fois la confiance des pays émetteurs regagnée.
Accélérer la transition numérique
Autre secteur essentiel : le numérique « qui est à la fois une filière à part entière et un socle pour l'ensemble des activités », assure Pierre Massenet, directeur général du groupe CIPAC. La Nouvelle-Calédonie dispose d'infrastructures de qualité et d'un taux d'équipement très satisfaisant. En 2023, les statistiques affichaient 96 % des foyers équipés et 87 % des Calédoniens utilisant régulièrement internet.
Les usages pourraient être encore davantage développés. La part du numérique dans le PIB calédonien est en effet en dessous des standards mondiaux. Les entreprises et les citoyens ne sont pas encore assez sensibilisés à la cybersécurité, tandis que nous faisons face à des situations d'illectronisme, notamment dans le monde du travail, avec des salariés qui ne possèdent pas les bases, ce qui peut avoir des impacts sur la performance des entreprises.
Pourtant, la crise Covid et les événements de mai 2024 ont montré l'importance du numérique pour continuer à faire tourner l'économie. Afin d'y remédier, un plan de formation spécifique pour développer les compétences numériques et la culture de la Tech pourrait être proposé, tandis que les acteurs du secteur devraient aussi pouvoir s'appuyer sur une stratégie numérique territoriale (PSEN 2024-2027) co-pilotée avec le gouvernement et financée.
La Station N, le lieu totem de la Tech en Nouvelle-Calédonie.
La transition numérique doit également favoriser la dématérialisation de l'administration et l'innovation. « L'objectif est d'avoir des services publics moins coûteux et plus agréables à utiliser pour les usagers. Pour les entreprises, il s'agit d'être plus compétitif et de rendre de meilleurs services à la clientèle, résume Pierre Massenet. L'e-santé est un exemple concret. C'est l'opportunité de faire des économies conséquentes grâce à la digitalisation du parcours de santé du citoyen, tout en améliorant l'expérience des patients, des professionnels et des agents ».
L'attractivité de la Calédonie, l'urgence absolue
Le sujet transversal du numérique se retrouve au cœur du troisième pilier du projet des acteurs économiques : le renforcement de l'attractivité de la Nouvelle-Calédonie en travaillant notamment sur un cadre réglementaire simplifié et digitalisé. « Le mode de fonctionnement du territoire, avec son mille-feuille administratif, est difficile à comprendre pour un investisseur extérieur, il est coûteux et constitue un verrou à la relance », explique Charles Calmettes.
Parmi les actions attendues, on peut citer la création d'un seul registre pour les entreprises et la dématérialisation de l'ensemble des démarches les concernant via un portail unique. Pour Mimsy Daly, présidente du Medef-NC, « l'attractivité du territoire est devenue une nécessité absolue. Un des leviers est aussi une réforme fiscale profonde. Financer la protection sociale par les charges sur le travail n'est plus souhaitable. Il faut revoir totalement ce système pour rééquilibrer notre économie ». En parallèle du projet de simplification, une stratégie de marketing territorial devra être mise en place pour attirer de nouveaux investisseurs.
3 question à Jessica Bouyé, directrice d'exploitation de Pacific Tuna et élue à la CCI
Quels sont les enjeux pour la filière agroalimentaire?
Les enjeux étaient déjà présents avant la crise, mais ils sont encore plus prégnants. Par exemple, la production de pêche invendue pendant les événements a pu être surgelée. Pour les fruits et légumes, une partie des récoltes a été perdue en l'absence de filière de surgélation. Quels sont les produits que l'on pourrait produire et transformer localement pour limiter l'importation et privilégier la production locale ? On parle souvent de quantités insuffisantes, mais il existe des solutions en mutualisant, en produisant sur un seul lieu plusieurs types de produits. Il s'agit d'entrer dans un cercle vertueux : quand un producteur sait que sa production va être écoulée et lui apporter un revenu stable, il produit !
Que manque-t-il pour atteindre cet objectif ?
Des unités de transformation mais avant cela, des formations. L'offre actuelle ne permet pas de faire fonctionner les unités existantes. Pourtant, il existe une base de compétences au niveau industriel qui est la même pour tous les ateliers. Cela aurait aussi un grand intérêt pour les jeunes et pour l'ensemble du territoire, ce qui permettrait de fixer les populations.
Quelles sont les premières actions identifiées ?
C'est un travail conjoint qui mobilise les Chambres consulaires, les collectivités. L'idée est de travailler en allant dans le même sens. Une mission a été menée à La Réunion avec la province Sud pour s'inspirer des modèles qui fonctionnent tels que les systèmes de coopératives, les unités mobiles de production, les contrats qui assurent l'écoulement des produits et encouragent les producteurs à se diversifier. Il faudrait développer ces réseaux en Calédonie. Avec à la clé, une augmentation du taux de couverture alimentaire, une meilleure structuration des filières, des formations mieux adaptées et de l'emploi.
Impliquer la jeunesse
Enfin, le quatrième pilier consiste à réduire la fracture sociale et les inégalités, ce qui passera par une meilleure intégration de la jeunesse, le rééquilibrage économique et un plus grand soutien au monde associatif. Les événements que viennent de vivre les Calédoniens montrent que le destin commun est un chemin long et difficile qui nécessite de partager et comprendre les valeurs et cultures de chacun ainsi que les droits et devoirs qui en résultent. « Ce projet pour l'avenir doit impliquer la jeunesse et intégrer une réflexion générale sur nos besoins en compétences, pose Mimsy Daly. La demande au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est d'avoir accès à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Une planification plus que jamais nécessaire alors que beaucoup de jeunes formés ne trouvent pas d'emplois, tandis que les entreprises manquent de compétences dans la finance, le marketing, le numérique... ».
Un véritable développement économique des terres coutumières est également avancé afin de favoriser notamment l'entrepreneuriat kanak et l'accès à l'emploi à chacun. Pour chaque pilier, « encore en construction », des actions concrètes seront proposées avec une quantification des enjeux économiques et sociaux.