Aller au contenu principal
manuel valls à nouméa carrefour kenu in

La reconstruction en quête de solides fondations

Économie
CCI Info n°305 avril-mai 2025
-

Reconstruire la Nouvelle-Calédonie. Aux lendemains des émeutes de mai 2024, l'ensemble des acteurs institutionnels, économiques et de la société civile s'est accordé sur cet impératif. Toutefois, pour que ce ne soit pas une simple invocation, le territoire et ses entrepreneurs ont besoin de perspectives économiques. Ce qui sous-entend la stabilité, un environnement sécurisé, une visibilité fiscale, une Nouvelle-Calédonie attractive… Sans oublier les autres priorités nécessaires à la reconstruction : la question des assurances, les financements et l'accompagnement des entreprises dans leurs démarches.

« La reconstruction revêt plusieurs dimensions : celle des entreprises et bâtiments détruits, mais aussi celle d'un tissu économique et enfin d'un modèle économique et sociétal soutenable à bâtir. Pour remplir tous ces objectifs, il faut une Nouvelle-Calédonie attractive », rappelle David Guyenne, président de la CCI (lire ci-contre).

Une attractivité qui a été une nouvelle fois mise à mal par les événements de 2024. Le nombre de départs en est l'indicateur le plus visible. Autre donnée préoccupante : d'après une enquête* commandée par la Chambre en début d'année, à laquelle 564 entreprises ont participé, le niveau de confiance des entreprises dans l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ou de leur entreprise s'est encore dégradé.

Face aux incertitudes et aux problèmes que les chefs d'entreprise rencontrent, seuls 15 % d'entre eux sont certains de reconstruire les locaux professionnels détruits pendant les émeutes. Ils étaient 50 % en octobre et 70 % en juin 2024.

Lors de la visite de Manuel Valls en Nouvelle-Calédonie en février, les acteurs économiques réunis au sein du consortium NC ÉCO ont alerté le Ministre sur la nécessité de déployer urgemment des mesures concrètes pour sauver les entreprises calédoniennes.

 


* Enquête sur l'évaluation de l’impact des émeutes de mai 2024, du 17 au 25 février 2025 (la première avait été menée en octobre 2024)

Photo : Le ministre des Outre-mer Manuel Valls a visité le 23 février une zone commerciale de Dumbéa dévastée en présence de David Guyenne.

voiture incendiée émeutes nouméa
Près de 800 entreprises ont été directement impactées pendant les émeutes, ce qui représente environ 180 milliards de francs CFP de dégâts.
image décorative

Le versement rapide des indemnités d'assurance demeure l'objectif majeur, réaffirmé lors des rencontres organisées par le gouvernement début février avec les différents assureurs du territoire. Il s'agit en effet de la première source de financement de la reconstruction pour les entreprises qui ont vu disparaître leur outil de travail.

Au 21 janvier, le Comité des assureurs de la Nouvelle-Calédonie (Cosoda) faisait état de 30 milliards de francs CFP d'indemnités versées, avec une accélération depuis le 9 décembre 2024. Ce montant représentait 36 % des versements à réaliser, hors perte d'exploitation qui demeure la dernière étape du processus d'indemnisation (lire l'encadré).

Un point particulier de vigilance pour les acteurs économiques, selon lesquels les conditions de déblocage de cette garantie dans le temps sont insuffisamment explicites, et qui demandent une règle claire de mise en œuvre pour l’ensemble des assureurs.

David Guyenne

3 questions à David Guyenne, président de la CCI-NC

 

Pourquoi l'attractivité de la Nouvelle-Calédonie est-elle indispensable pour sa reconstruction ?

Attirer ou retenir des personnes qui ont envie de s'impliquer dans l'économie et la société calédonienne se fait au bénéfice de tous.
L'attractivité recouvre des besoins élémentaires – sécurité, santé, éducation, accessibilité – encore plus prégnants aujourd'hui. La Nouvelle-Calédonie doit aussi se doter d'une fiscalité facilitatrice, accompagnée d'une baisse des dépenses publiques, pour pouvoir s'engager dans la reconstruction.
C'est enfin la question des compétences, notamment pour garder celles dans les secteurs industriel, de la mine et de la maintenance. Pour cela, il faut diversifier l'économie et développer les filières d'avenir : économie maritime et aéroportuaire, nickel et énergie.

 

Qu'est-ce qui peut déclencher la décision des investisseurs de (ré)investir en Nouvelle-Calédonie ?

Il faut déployer des outils fiscaux et financiers forts. Nous demandons par exemple la défiscalisation* de la reconstruction des entreprises des entreprises et bâtiments détruits - industries, commerces ou services. Ceci pour contribuer à rétablir le tissu commercial, donner des opportunités à divers acteurs économiques et maintenir un niveau suffisant de concurrence et de compétitivité.

 

Qu'en est-il de la visibilité institutionnelle ?

Un accord politique, économique et social est indispensable pour pouvoir embarquer tout le monde dans une nouvelle phase où il s'agira de construire ensemble.
Sans cela, nous risquons de ne pas avoir la même force de reconstruction et d'attractivité.

* Nécessite la correction de l'article 10 ter de la Loi de Finances pour 2025.

allées des banques centre-ville nouméa
Les banques travaillent au cas par cas avec les entrepreneurs.

Garantie perte d’exploitation, précisions importantes : Il faut distinguer la période de validité de la garantie de perte d’exploitation et la durée d’indemnisation de la perte d’exploitation.

• Le versement de la garantie perte d'exploitation (PE) est conditionné à une reprise d'activité au cours de la période de validité de la garantie.
En matière de droit assurantiel, la prescription est de deux ans ; ce qui veut dire que la garantie est valide pendant deux ans à compter du dommage.

• La durée d’indemnisation est celle souscrite dans le contrat : elle est généralement de 12, 24 ou 36 mois. Sa durée notamment conditionne le niveau de prime.
Cette durée est indépendante de la date de redémarrage d’activité (qui doit se faire dans les deux ans). Une fois la reprise effectuée, l’indemnisation court avec effet rétroactif depuis la date de survenance du sinistre jusqu’à la fin de la durée de garantie de la Perte d’Exploitation, conformément au contrat.

 

Plus le redémarrage sera tardif, plus il sera difficile d’obtenir l’adhésion de l’assureur sur cette prise en charge. Le sinistré devra convaincre l’assureur de sa bonne volonté et qu’il met tout en œuvre pour redémarrer son activité.

Plus d'infos : www.cci.nc

Camille perot
Camille Perot

Directrice du marché des entreprises à la BNC 

La deuxième urgence est d'aboutir à un dispositif qui garantisse une continuité assurantielle aux entreprises. D'après l'enquête de la CCI, 42 % des entreprises rencontrent des difficultés à se faire assurer ou réassurer, soit pour la perte d'exploitation, les locaux, les véhicules ou les stocks. Ce chiffre atteint 52 % pour les entreprises qui ont subi des dégâts directs pendant les exactions.

Le risque émeute, que les compagnies se voient désormais dans l'obligation de retirer à échéance des contrats de leurs clients, face au risque de plus en plus « chronique » de troubles à l’ordre public dans les Outre-mer français, constitue une autre inquiétude. Une réflexion est en cours afin d'instaurer un mécanisme public de réassurance de ce risque au niveau national, qui pourrait s'inspirer du fonds public-privé pour la Gestion de l'assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme (GAREAT), ou encore du fonds d'État Barnier pour les catastrophes naturelles. Quoi qu'il en soit, ce dispositif ne devrait pas voir le jour avant 2026.

En attendant, le problème assurantiel complexifie l'accès au crédit des entreprises et représente un véritable enjeu pour les banques, qui ne peuvent pas assumer tous les risques. C'est un frein majeur à la relance du financement bancaire, préalable pourtant indispensable à la relance économique, et plus encore à la reconstruction.

 

L'accès au financement bancaire, un autre prérequis important

D'autres leviers seront déterminants pour la reconstruction : une plus grande visibilité institutionnelle, l'extension des dispositifs de garantie Sogefom (Société de gestion de fonds de garantie d’Outre-mer, lire plus loin) ou encore la mise à disposition, via l'Institut d'émission d'Outre-mer (IEOM), de lignes de refinancement adaptées en taux et maturité (durée de remboursement, ndlr), pour minimiser le coût des financements.

« Les banques ont subi les mêmes conséquences que les entreprises calédoniennes avec d’importants dégâts matériels et immobiliers, un fort recul de l’activité et une augmentation des risques », rappelle Camille Perot, directrice du marché des entreprises à la BNC et élue à la CCI. « Elles disposent toutefois de fondamentaux solides pour financer l’économie calédonienne et accompagner leurs clients dans leurs besoins immédiats de trésorerie et de financement. »

Ainsi, au début de la crise, la communauté bancaire calédonienne a, en quelques semaines, gelé plus d’une centaine de milliards de francs CFP de crédit (PGE compris). Alors que la durée légale du report est fixée à six mois, des entreprises peinent à reprendre le remboursement de leurs échéances. Mais des solutions alternatives d’accompagnement peuvent être envisagées, comme le réaménagement de la dette avec le dispositif Sogefom.

chantier nouméa

Faire évoluer la Sogefom

La Sogefom est un fonds de garantie géré par l’AFD qui, sur sollicitation des banques, apporte des garanties partielles à des prêts que les établissements accordent aux TPE et PME. Elle intervient dans tous les secteurs d’activité, excepté l’intermédiation bancaire et la promotion immobilière.

Des mesures d’assouplissement spécifiques ont été actées en juillet 2024 pour un fonds Sogefom dédié à la reconstruction. Les principales modifications portent sur les critères d’éligibilité, avec notamment l’ouverture aux établissements de taille intermédiaire (ETI), le taux de couverture et la durée.

« Ce mécanisme est efficace pour les entités de petites tailles, mais atteint rapidement ses limites, en raison du plafond d'intervention fixé à 179 millions de francs au total (cumul des encours couverts portés dans toutes les banques et pour tout un groupe) pour les TPE et PME, soit la majorité des entreprises du territoire », signale Camille Perot. « En outre, les entreprises qui étaient en situation financière dégradée avant les émeutes n’ont pas accès à ce dispositif. L’accès au crédit est certes facilité, mais encore trop limité par le plafond et par le coût de la garantie (1,2 % sur les encours couverts). »

Le collectif NC ÉCO appelle lui aussi à une évolution du fonds de garantie Sogefom afin de l’adapter en termes de durée, de plafond et de taux pour mieux répondre aux besoins des acteurs économiques. Acteurs économiques qui s’interrogent, pourquoi pas, sur l’opportunité d’une société d’investissement foncière éventuellement, qui dé-risquerait le chef d’entreprise pour la phase de reconstruction.

 

Des montages financiers au cas par cas

« Les entreprises ont toujours accès à tous les types de financements bancaires », rassure Camille Perot, « mais les banques travaillent différemment sur la sécurisation du risque porté. Pour chaque entrepreneur, nous regardons quel est le montage financier le plus adapté. »

Dans ce contexte incertain, de nouvelles garanties de l'État font partie des besoins des entreprises et des banques en termes de mécanismes de financement, au premier rang desquels un élargissement des critères d’éligibilité de la Sogefom (montant, durée, éligibilité, type de concours, taux réduit).

La récente baisse des taux directeurs décidée par le Conseil de surveillance de l'IEOM dans le Pacifique constitue en ce sens une bonne nouvelle. En effet, le taux directeur désigne le taux d’intérêt fixé par une banque centrale pour les prêts qu’elle accorde aux banques commerciales. Une baisse de ces taux a pour effet de rendre le crédit moins coûteux pour les entreprises et les particuliers.
« Si ce n'est pas un mécanisme automatique, dès que nous pouvons répercuter cette baisse sur nos clients, nous le faisons », confirme Camille Perot.

« Nous traversons une période difficile, celle-ci a néanmoins été l’occasion de renforcer les liens entre les entreprises et leurs partenaires financiers », poursuit la directrice. « Les banques sont là, avec les pouvoirs publics, pour faciliter la reconstruction et la reprise de l'investissement via des prêts garantis par la Sogefom. Ce dispositif tel que défini à ce jour permet pour partie d’encourager la reprise économique et de soutenir des projets de long terme. Les adaptations sollicitées sur ce dispositif de garantie SOGEFOM, tout comme sur la garantie émeute, pourront étendre encore plus notre intervention aux côtés des acteurs économiques du territoire dans la reconstruction. »

femme qui sourit

Compte tenu de la situation d’urgence dans laquelle se trouve le monde économique, il paraît indispensable de lancer rapidement les mesures envisagées et de s'assurer que cela va au plus vite pour les entreprises en difficulté.

 

Un guichet dédié à la reconstruction

En réponse, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a décidé de mettre en place le Guichet de la reconstruction (lire aussi "Un guichet de la reconstruction pour faciliter toutes vos démarches"), un dispositif centralisé, destiné à simplifier les procédures pour les entreprises.
« Nous voulons envoyer un signal fort aux entrepreneurs qui souhaitent reconstruire pour leur dire que les collectivités sont à leurs côtés. À travers ce guichet, notre objectif est de leur faciliter toutes les démarches administratives qu’ils auront à accomplir », résume Christopher Gygès, membre de l'exécutif chargé de l’économie.

La gestion de ce point d'entrée a été confiée à la CCI. « Ce choix me paraissait naturel car nous avons toujours bien travaillé avec la CCI, que ce soit pour la crise Covid ou pour d’autres sujets », rappelle le membre du gouvernement en référence aux dispositifs de recensement des problématiques consécutives aux émeutes de mai 2024, notamment celles liées aux assurances. Par ailleurs, « la CCI est en contact direct avec les entreprises, elle est donc bien placée pour capter leurs besoins ».

 

Un rôle de facilitateur

Afin d’accompagner efficacement les entreprises dans leurs démarches, un numéro vert a été activé. Derrière, des conseillers dédiés orientent les entrepreneurs à chaque étape – analyse du parcours de relance, identification et résolution des éventuels obstacles – afin d’accélérer le processus. De manière générale, leur rôle est de s’assurer de la bonne progression des dossiers du début à la fin.
« Nous sommes là pour orienter les entreprises vers les bons interlocuteurs. Nous nous assurons qu’elles sont sur les bons rails et si un blocage survient, notre rôle est de le lever. Notre force, c’est de pouvoir mobiliser les bons acteurs pour faire avancer les dossiers », explique Isabelle Coupey, directrice générale adjointe de la CCI.

 

Un appui politique pour désamorcer les éventuels blocages

Si les blocages persistent malgré tout, ce dispositif permet de mobiliser rapidement les décideurs des institutions concernées, afin de résoudre la situation et fluidifier les démarches.
« Nous avons mis en place un comité politique dans lequel nous pourrons directement intervenir. Si une situation nécessite une intervention politique, nous serons mis au courant et nous agirons immédiatement. C’est une sécurité pour les entrepreneurs », ajoute Christopher Gygès.

Si ce dispositif est exceptionnel et directement lié au contexte actuel, la CCI souhaite poursuivre son engagement dans une démarche d’amélioration continue, en lien avec le gouvernement et les institutions compétentes.
L’objectif est de réduire encore les délais des démarches, au-delà de la phase de reconstruction.

femme qui travaille

Contact 

Guichet de la reconstruction

  • Numéro Vert 05 00 50

  • reconstruction@cci.nc