L'attractivité, passage obligé de la reprise économique
Faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire attractif, qui suscite l’intérêt des compétences et des investisseurs : une étape indispensable dans la construction d’une économie dynamique, pour le bénéfice de tous les Calédoniens. Alors que les médecins, ingénieurs, informaticiens _ entre autres métiers sous tension _ ou que les investisseurs sont courtisés de toute part, la Nouvelle-Calédonie doit définir sa stratégie pour les faire venir... et rester durablement.
18 000. C’est le nombre d’habitants que la Nouvelle-Calédonie a perdu depuis 2014, d’après les données de l’Isee et du trafic aéroportuaire de la CCI. Derrière ce chiffre se cachent des compétences, des consommateurs et sans doute quelques investisseurs. L’activité économique a ainsi été impactée par ces départs. « En Nouvelle-Calédonie, on s’est longtemps dit : on a du nickel et des ressources naturelles, c’est suffisant pour faire tourner l’économie, expose Pierre Kolb, président de l’association Talents calédoniens et élu à la CCI. Mais, il faut bien prendre conscience que la première richesse d’un pays, ce sont ses hommes et ses femmes et que, sans eux, rien n’est possible », estime-t-il.
Comment leur donner envie de venir ou revenir en Nouvelle-Calédonie ? Que désirent ces talents dont le territoire a besoin ? Autant de questions que l'association Talents calédoniens a posé à près de 400 répondants (Calédoniens ou non) dans une grande enquête menée en septembre 2020 lors de sa création.
Une érosion préoccupante du solde migratoire
Les acteurs économiques tirent la sonnette d’alarme depuis plus d’un an : incertitude institutionnelle qui dure, crise Covid puis inflation, forment un cocktail détonnant pour l’attractivité du territoire. Une conjugaison de facteurs qui ne favorise pas l’enthousiasme des professionnels, nombreux à jeter l’éponge d’une vie en Nouvelle-Calédonie. Une enquête confiée à l’institut Quidnovi au premier trimestre 2023 objective la situation, qui relevait jusqu’alors d’une connaissance fine des mécanismes économiques. Les départs massifs déséquilibrent les recettes fiscales, le niveau de qualité de service public qu’elles financent, et commandent un changement de stratégie urgent.
57 % des familles qui ont quitté le territoire ces derniers mois, connues des répondants de l’enquête, étaient installées durablement en Nouvelle-Calédonie, et près de 30 % comptaient au moins un adulte qui y était né. Ces personnes travaillaient principalement dans les secteurs de la santé, du commerce, et de la construction. Pour 40 %, l’incertitude institutionnelle et le climat politique constituent la première raison de leur départ. Le pouvoir d’achat vient en 4e position et le contexte économique et la fragilité de l’emploi en 6e position. Pas des départs prévisibles dans le cadre de séjours « à durée déterminée », donc, que les arrivées sur le territoire (elles aussi moins nombreuses) auront bien du mal à compenser.
La qualité de vie en tête
En tête des critères de l’attractivité, on trouve la qualité de vie. Un critère qui a vu son poids se renforcer, partout dans le monde, après la crise Covid. « De plus en plus de personnes recherchent un équilibre entre le travail et la vie personnelle. C’est un atout que l’on peut offrir ici. Pour les familles avec de jeunes enfants, la Nouvelle-Calédonie permet un formidable épanouissement, contrairement à beaucoup de grandes villes, notamment en Métropole », souligne Pierre Kolb.
En effet, le territoire bénéficie d’une bonne image globale, son cadre de vie est plébiscité par la majorité des répondants de l’étude commandée par Talents calédoniens. La possibilité de voyager, mais aussi de se réaliser en relevant des challenges ou en vivant des expériences hors du commun apparaissent aussi comme des facteurs importants dans le choix de l’implantation. L’image d’une île « au bout du monde » pourrait donc être un atout pour ceux qui rêvent d’aventure.
Un manque d’informations
Les opportunités professionnelles sont le deuxième critère déterminant dans le choix d’implantation. Problème : celui-ci est souvent cité comme un frein à l’installation en Nouvelle-Calédonie pour les répondants. 35 % des employeurs interrogés voient aussi l’emploi du conjoint comme un problème potentiel. « Il y a surtout un manque d’informations et d’outils pour mettre en relation les talents avec les entreprises », répond Pierre Kolb.
L’association Talents calédoniens a donc décidé de créer une plateforme internet pour centraliser toutes les réponses aux questions que se posent les personnes qui veulent venir ou revenir en Nouvelle-Calédonie. Une sorte de guichet unique pour des domaines comme l'emploi, le logement et le système de santé. Cette plateforme devrait être mise en ligne mi-2023. Ce projet a bénéficié d’une subvention dans le cadre de l’appel à projet « jeunesse outremer » du Ministère des Outre-mer, en juillet 2022.
Des freins calédoniens
Entre cadre de vie et opportunités professionnelles, la note de la Nouvelle-Calédonie semble plutôt positive. Mais l’attractivité d’un territoire est relative à celle des autres territoires, qui lui font concurrence. Quels sont les freins qui incitent justement les salariés ou investisseurs à préférer un autre lieu plutôt que la Nouvelle-Calédonie ?
Le coût de la vie est l’une des principales raisons citées dans l’étude initiée par Talents calédoniens. « L’une des conditions posées par le collectif Agissons solidaires lors des discussions autour de la réforme du Ruamm était d’établir un plan d’économie substantiel concernant la dépense publique. Si la dépense publique baisse, il ne sera pas obligatoirement nécessaire d’augmenter la TGC, qui elle-même augmente le coût de la vie », expose Stéphane Yoteau, élu à la CCI.
Un coût du travail élevé
« Notre cadre fiscal est en compétition avec les cadres fiscaux des autres territoires. On voit bien que les retraités métropolitains partent s’installer au Portugal car la fiscalité leur est plus favorable. Les gens comparent. Or, en Nouvelle-Calédonie, le travail est énormément taxé. Pour que le salarié touche 100 francs net, l’employeur doit lui payer 150 francs. Pourtant, le taux d'emploi est de seulement 56 %, donc la charge fiscale est concentrée sur une petite partie de la population », poursuit-il.
Outre le coût de la vie, les autres freins cités sont les incertitudes institutionnelles et la dégradation du climat social. « L’inextricable clivage politique est aujourd’hui vécu comme un poids supplémentaire qui compromet toute reprise économique. L’attentisme lié à l’incertitude institutionnelle mine l’économie », relevait NC ÉCO en introduction du projet sociétal sur lequel le collectif d'acteurs économiques travaille depuis deux ans.
En octobre dernier, les trois Chambres consulaires ont été invitées à la Convention des partenaires à Paris. « Il est en effet plus qu’urgent d’agir, les entreprises et la société souffrent et ont besoin de visibilité. Cette démarche, cette méthode, place les besoins des Calédoniens et la recherche de la prospérité économique et sociale au cœur des discussions », soulignaient-elles, avec espoir, à l'issue du comité.
Risque requin : un impact sur l’image et l’économie
Trois attaques de requin en trois semaines, une blessée grave et une personne décédée : le risque requin a conduit à l’interdiction de la baignade à Nouméa jusqu’au 31 décembre.
Fin mars, la province Sud a adopté un plan d’urgence pour soutenir l’activité des entreprises impactées économiquement par cette interdiction. 70 entreprises seraient concernées, dont 26 à Nouméa. Depuis fin avril, Nouvelle-Calédonie Tourisme envoie aux professionnels du tourisme un formulaire d’enquête à remplir mensuellement. Objectif : évaluer l’impact sur l’activité touristique de l’interdiction de baignade à Nouméa et faire valoir les intérêts du secteur.
Au-delà des pertes immédiates pour les entreprises, c’est l’image du territoire qui est touchée, alors que sa qualité de vie est vue de l’extérieur comme l’un de ses points forts.
De 2011 à 2019, l'île de La Réunion a connu 25 attaques de requins qui ont fait onze morts et sept blessés graves. Quatre ans après les premières attaques, une étude remise à la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement estimait à 33 millions d’euros (3,9 milliards de francs CFP) la perte globale pour l’économie de l’île, pour ne prendre que les pertes touristiques extérieures et celles des filières de loisirs les plus touchées.
Un manque de stratégie
La Nouvelle-Calédonie souffre également d’un manque de stratégie pour attirer les compétences. Qui souhaite-elle accueillir ? Pour quoi faire ? Des questions auxquelles d’autres territoires ont déjà répondu. Ainsi, le Québec n’hésite pas à débaucher directement au sein des entreprises calédoniennes pour combler son manque de compétences dans les secteurs de l’informatique et des technologies. « En soi, la Nouvelle-Calédonie n’a pas moins d’atouts que le Québec, estime Pierre Kolb, élu à la CCI. Mais lorsqu’on les démarche, les salariés se sentent désirés, et c’est parfois le déclic qui manque pour sauter le pas vers une installation. En Nouvelle-Calédonie, il n’y pas suffisamment cette culture de l’accueil pour montrer aux talents qu’on a besoin d’eux et qu’ils sont les bienvenus. L’association Talents calédoniens est aussi là pour faire évoluer cette culture », poursuit-il.
Des tremplins pour l'attractivité
Malgré ces obstacles, la Nouvelle-Calédonie occupe une place particulière dans la région avec des pistes de développement de son attractivité bien réelles. Son offre de santé vient à l'esprit. Une clinique et un centre hospitalier récents, de nouveaux centres médicaux, le territoire dispose d'infrastructures à la pointe. Si le secteur peine lui aussi à recruter actuellement, il pourrait tirer son épingle du jeu dans le contexte d'une population vieillissante.
Les établissements de santé apparaissent souvent comme ceux qui coûtent de l'argent à la collectivité à cause des cotisations sociales. En même temps, nous sommes un élément d'attractivité. Pour tous les
publics, la qualité des soins reste un critère déterminant.
Filière économique des seniors
Aujourd'hui, un Calédonien sur huit a plus de 60 ans. Un chiffre qui doit considérablement augmenter d'ici à 2030. La clinique a recruté un médecin gériatre et travaille sur ce sujet avec le centre hospitalier territorial (CHT) et le centre hospitalier spécialisé (CHS). « Nous vivons plus longtemps avec le risque de développer plusieurs pathologies, mais aussi la possibilité de vivre avec une maladie chronique, signale-t-il. Il s'agit d'imaginer un parcours global du patient ».
Ainsi, la clinique est partie prenante de la filière de prise en charge des seniors : consultations à Medcity, urgences, soins aigus, soins de suite et bientôt, ouverture d'un nouvel EHPAD à Nouméa avec un peu plus de 100 places.
De là à développer la « silver économie », en référence aux cheveux argentés des seniors, il n'y a qu'un pas, seulement ce marché nécessite la mobilisation de l'ensemble des partenaires, y compris du monde économique. En effet, si l'étude « Bien vieillir en Nouvelle-Calédonie », initiée par le gouvernement, met en avant les besoins futurs en gériatrie, elle révèle que la priorité pour la personne âgée est de vivre chez elle.
« La clinique n'est qu'un maillon de la chaîne, insiste Pascal Olejniczak. L'objectif est d'aider les seniors à conserver un lien social et leur autonomie ». Toute une filière économique est donc à construire autour du maintien à domicile des personnes âgées, mais aussi des activités pour ce public bien spécifique.
En 2022, les patients de 60 ans et plus représentaient près de la moitié des admissions à la clinique Kuindo-Magnin, avec une durée moyenne de séjour de quatre jours.
L'écosystème de la Tech
Un besoin de la société qui pourrait faire émerger de nouvelles idées. À l'image de ce qui anime les entreprises réunies sous la bannière de la « Tech », qui place l'innovation, les objectifs de développement durable et l’impact sociétal positif au cœur de la technologie. Dans ce secteur, la Nouvelle-Calédonie n'a pas à rougir. « C'est une zone attractive, lance Franck Ollivier, coprésident de la French Tech Nouvelle-Calédonie, émanation du réseau national qui fédère cette nébuleuse d'entreprises sur le territoire. Quand on voit le nombre de start-ups et d'entreprises innovantes par rapport au nombre d'habitants, on a un réel dynamisme qui est dû au système d'accompagnement bien présent : incubateur, clusters, associations... Des porteurs de projet viennent développer leur idée ici grâce à cet écosystème facilitateur. »
Pour la première fois, sept entreprises dans différents secteurs (numérique, Greentech, Bluetech, etc.) représentent la Nouvelle-Calédonie au salon VivaTech, qui se tient en juin à Paris. Leurs objectifs ? Trouver de nouveaux acheteurs et/ou partenaires, de nouveaux sites de développement ou encore lever des fonds.
Même si dans ce domaine, la French Tech NC plaide d'abord pour maintenir les investissements calédoniens sur place au lieu qu'ils soient investis à l'étranger. « Il est aussi possible d'attirer de grandes entreprises françaises ou des financements extérieurs, mais dans ce cas, on peut nous imposer en tant que start-up d'installer notre siège social ailleurs. » La volonté est enfin de montrer que la Nouvelle-Calédonie est une terre favorable à l'émergence d'idées et de projets pour le bien-être collectif.
Quand on voit le nombre de start-ups et d'entreprises innovantes par rapport au nombre d'habitants, on a un réel dynamisme qui est dû au système d'accompagnement bien présent : incubateur, clusters, associations... Des porteurs de projet viennent développer leur idée ici grâce à cet écosystème facilitateur.
Le tourisme médical en réflexion
Se déplacer d'un pays à l'autre pour bénéficier d'un acte médical non présent dans son pays d'origine ou d'une offre plus compétitive, telle est la définition du tourisme médical, un phénomène grandissant. « Si nous sommes reconnus dans la région, par exemple pour le traitement des cancers ou la qualité de nos soins de suite, ce sera un levier de développement pour la clinique, mais aussi pour toute une filière, indique le directeur de l'établissement Kuindo-Magnin. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est une trajectoire d’excellence vers laquelle nous travaillons ». Le sujet soulève plusieurs problématiques comme la solvabilité des patients et tous les à-côtés de l'hospitalisation : tarifs des hôtels, des billets d'avion, fréquence des vols... « Tant que nous n'aurons pas une ligne aérienne régulière avec Fidji, il sera difficile de répondre à la demande », déplore ainsi Pascal Olejniczak.
"Caledonia friendly" pour les professionnels de santé
Le secteur médical est représentatif des tensions de recrutement actuelles. Le déficit que connaît la Métropole est amplifié ici. Comment y répondre ? « La question des salaires est posée, mais aussi celles du coût de la vie et de l'accueil du conjoint dans le contexte de l'emploi local », décrit Pascal Olejniczak, directeur de la clinique Kuindo- Magnin. Ce manque d'attractivité ne dépend pas que du milieu de la santé. « Nous essayons de donner le meilleur environnement de travail possible à nos personnels, mais tout le monde doit prendre conscience qu'il faut afficher une étiquette "Caledonia friendly" pour les professionnels de santé, surtout avec le vieillissement de la population. »
Même constat du côté de la Fédération des professionnels libéraux de santé (FPLS) qui pointe également du doigt l'instabilité politique, l'insécurité et les incivilités dont sont victimes certains soignants, ainsi qu'une politique de santé inadaptée, selon une enquête menée fin 2022 par l'organisation. « Une évolution des textes est nécessaire, ainsi que la mise en œuvre des mesures prévues dans le plan de santé Do Kamo », avance Patrice Gauthier, président de la FPLS. Un remaniement qui permettrait aux professionnels d'exercer dans de meilleures conditions, tout en générant des économies pour le système de soins.